Friday, February 3, 2017

Henriette Walter, "Honni soit qui mal y pense"

 – Éditions Robert Laffont, S.A. Paris 2001. 446 p. 
    ISBN 978-2-253-15444-0



Lu du 5 décembre 2016 au 30 janvier 2017

Mon vote :


C’est grâce à ma très chère amie Francine et à son grand amour pour la langue française que j’ai découvert Henriette Walter il y a quelques années. C’est elle qui m’a recommandé le premier livre que j’allais lire de cette excellente linguiste, Le français dans tous les sens, tout comme c’est elle qui m’a fait cadeau le deuxième, Honni soit qui mal y pense. Et j’ai retrouvé avec satisfaction dans ce dernier la même façon simple et intéressante de présenter les faits scientifiques sans quand même les vulgariser, la même vivacité et tendre ironie qui avait fait de l’histoire du français un bildungsroman dans le premier volume et qui transforme l’étude comparé du français et de l’anglais dans une histoire d’amour dans celui-ci.

De plus, il a été amusant, en relisant ma critique du Français dans tous les sens, de remarquer que je l’avais commencée avec une histoire de faute d’orthographe drôle (« blé dinde »), dont j’ai trouvé en plaisantant une justification étymologique dans le vieux nom de la dinde – poule d’Inde. Et bien, la lecture de cet étude me permet d’aller maintenant encore plus loin et d’expliquer que le nom du blé d’Inde donné au maïs au Québec est un calque linguistique de l’anglais américain (car le britannique maize n’a jamais été employé aux Etats-Unis où on a préféré corn (qui désignait toute céréale au XVIIe siècle), après l’avoir nommé pour un temps, évidemment, Indian corn !

Mais ce mariage, d’après quelques uns scandaleux, entre le français et l’anglais sur le continent américain a été précédé d’à peu près cinq siècles de fiançailles tumultueuses, inaugurées en 1066, quand, après la victoire de Hastings et la mort du roi Harold, Guillaume de Normandie devient roi de l’Angleterre et apporte le français à la cour anglaise, où il deviendra par après langue de cour (Dieu et mon droit), de noblesse (Honni soit qui mal y pense) et d’administration pour trois cent ans, c’est-à-dire jusqu’au XIVe siècle quand l’anglais commence à s’imposer après les actions de Jeanne d’Arc.

Nées des parents différents, les deux langues ne semblaient avoir rien en commun au début. Si dans le vieux Albion c’est la langue des vikings qui a vaincu la langue celtique de laquelle sont restés seulement  quelques hydronymes et toponymes (le plus connu étant Avon qui se traduit par « cours d’eau ») en Gaule c’est le latin qui s’impose vite après l’arrivée des Romains, du gaulois restant quelques mots du vocabulaire de la forêt et de la campagne (bouleau, bruyère, bouc, chamois, charrue, sillon, bourbe, glaise, etc.).

Par la suite, au début du 12e siècle les premiers mots français sont attestés en anglais : proud du prud (évolué en preux) avec l’ancien sens « vaillant », bacon du bacon qui en vieux français désignait la flèche de lard de porc salé, parrot, de Pierrot, ou (j’ai trouvé ça intéressant), butler (qui au XIVe siècle désignait le maître d’hôtel) du bouteiller (sommelier). Pendant environ trois siècles, les deux langues flirtent sans cesse, se prêtent des mots et des expressions, où se tendent des pièges cordiales qui se transformeront en amis plus ou moins faux, comme jolly qui vient d’un vieux mot français, jolif, signifiant alors « joyeux, drôle » ou onerous qui reprend le sens latin « pénible » (du latin onus, oneris – charge, fardeau), pendant qu’onéreux se traduit en anglais par expensive. Parfois, les faux amis ne le sont qu’à moitié, comme figure qui traduit « silhouette » dans les deux langues mais « visage » seulement en français, ou rare qui signifie « pas fréquent » autant en français qu’en anglais, mais « peu cuit » seulement en anglais.

L’amour est tellement grand qu’il donne naissance à de nouveaux mots parfois à partir des mêmes erreurs : c’est d’un malentendu (littéralement !) que s’est créé licorne en français (en pensant qu’unicorne était formé de deux mots (« une icorne »), qui avec l’article défini devient « l’icorne » et puis, naturellement, « licorne ») et nickname en anglais (‘an ekename’ – de eke, « ajouter « – est devenu ‘a nekename et puis ‘nickname’).

Malheureusement, comme le dit l’autrice même dans des syntagmes inspirés, « un siècle d’hostilités » suit ces « trois siècles d’intimité ». En effet, la guerre de Cent Ans (1337-1453) a contribué à éloigner l’anglais du français, même si, paradoxalement, à la même époque, c’est-à-dire juste après la chute de Calais en 1337, le roi Edward III crée L’ordre de la Jarretière (le plus ancien et le plus élevé de tous, étant donné qu’il compte seulement 24 chevaliers, le roi ou la reine et le prince de Galles) avec une devise en français : Honi soit qui mal y pense (à l’époque on écrivait honni avec un seul n), allègement les mots du roi en ramassant une jarretière tombée par terre qui avait fait rire les nobles de la cour.

Dès lors, les deux langues vont évoluer indépendamment : le français commence à être parlé partout, sauf en Angleterre, où l’anglais se développe sur le dialecte de Londres, à partir du XVe siècle, grâce à l’introduction de l’imprimerie en Angleterre par William Caxton. Au XVIe siècle, l’anglais renonce au « thou » de tutoiement pour employer seulement la forme « you » pour les deux personnes. En effet, le dernier remplace quatre formes : deux du nominatif (thou pour singulier et ye pour pluriel) et deux de l’accusatif  (thee au singulier et you au pluriel)

Même séparées, les deux langues continuent à partager la même sort, car leurs érudits compliquent l’orthographe soit par amour du latin, surtout en Angleterre où, par exemple, debt et doubt reçoivent un b pour rappeler debitum  et dubitum et reign le g du regnum, soit par fierté de classe en France :

Dans les discussions qui animaient l’Académie des premiers temps s’affrontaient d’une part, les réformateurs dans la ligne de Ronsard qui, dès 1550, s’était montré favorable à une adaptation de la forme graphique à la phonétique, de l’autre, des conservateurs, partisans de l’ancienne orthographe, celle « qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes. 

La découverte du Nouveau Monde va changer encore une fois l’histoire linguistique, car, « en prenant le large », les deux langues se réconcilient de nouveau, même s’ils flirtent sans remords au début avec les langues amérindiennes et puis avec les langues des immigrants, pour enrichir et souvent changer la version européenne. 

Ainsi l’anglais d’Amérique est influencé par les langues amérindiennes : racoon, skunk, opposum, squash etc., mais aussi par le français, surtout pour le nom des lieux : Belair, Belpre, Belmont, etc. A l’intérieur de la langue, le sens des certains mots britanniques change : pond – à l’origine petite mare artificielle, devient grande étendue d’eau ; creek – crique, devient cours d’eau, toute comme la graphie et / ou la forme changent : aluminiumaluminum, driving licence – driver’s license, holiday – vacation, postcode – zip code etc.

L’histoire du français dans le Nouveau Monde est encore plus compliquée, en commençant avec les toponymes : Québec est une altération de Quilibec (qui signifie en algonquin l’endroit où les eaux se rétrécissent), tandis que Canada provient du Kanata (qui en huron ou iroqois désignait n’importe quel village). Quant à la première colonie française du Nouveau Monde, elle s’appelait La Cadie et puis L’Acadie, nom changé par les Anglais en Nova Scotia.

Entre 1608 et 1763, le français domine dans La Nouvelle France : 95% des habitants sont d’origine française, en grande partie provenant du domaine d’oïl. Entre 1763 et 1960, le français doit faire face à l’anglais, et les premiers anglicismes apparaissent (comme mop, qui alterne avec vadrouille, forme qui existe en France au Calvados). Depuis 1960, la Loi 101, connue sous le nom de la Charte de la langue française, fait du français la seule langue officielle au Québec.

En Acadie, après la conquête des Anglais et la tragédie du « Grand Dérangement », une partie des colons français s’établit en Louisiane, où depuis 1968, le français devient langue officielle à côté de l’anglais. C’est un français parfois déconcertant, car il est mêlé d’anglais : ici on dit marcher à l’office pour aller au bureau à pied, ou il a drive jusqu’à la maison de cour pour informer qu’il est allé en voiture jusqu’au palais de justice.

Pour retourner au français du Canada, et surtout à celui du Québec, on retrouve ici des mots avec des sens perdus en France (garde-robe – placard, jaquette – chemise de nuit, suce – tétine, cadran – réveille-matin, etc.), ou gardés seulement dans quelques régions de celle-ci (mouillasser – pleuvoir, place – sol de la maison, etc.), ou des innovations pour résister aux influences de l’anglais (traversier – ferryboat, magasinage – shopping, courriel – e-mail, etc.), ou des mots calqués de l’anglais (pâte à dents – pâte dentifrice, papier de toilette – papier hygiénique, breuvage – boisson non alcoolisée -du beverage, liqueur – boisson gazeuse sans alcool, etc.).

Le grand intérêt du lexique français du Canada réside dans le fait qu’il est à la fois détenteur de vestiges des formes anciennes du français et évocateur de mots encore vivants dans certains régions de France, tout en étant résolument novateur, ce qui justifie l’impression de charme et d’étrangeté qui le caractérise par rapport au français de France.

Après avoir souligné le rôle de grands dictionnaires à partir du XVIIIe siècle et après avoir fait la différence entre francophonie (avec minuscule), qui désigne l’ensemble des populations dont la langue maternelle est le français et Francophonie (avec majuscule), qui comprend l’ensemble des pays qui ont  le français « en partage », dans une coopération culturelle, scientifique et technique, l’autrice souligne qu’il y a aujourd’hui le phénomène de la mondialisation du vocabulaire qui estompe de plus en plus les barrières linguistiques, surtout entre le français et l’anglais, qui,


…s’étant fréquentées sans discontinuer, et de façon très intime depuis si longtemps, (…) ont bénéficié chacune des cadeaux lexicaux que lui faisait l’autre.

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